avril 30, 2010

Cher Guillaume




Cher Guillaume,

Après avoir lu Et après ?, j'avais juré de ne plus lire de livre de vous. J'avais été déçue, attendant un rebondissement, un dénouement, un quelque chose qui rattraperait ce livre dont le sujet était plutôt prometteur. Las, rien n'y fit, je fermais le livre en songeant que j'aurais dû me méfier du titre.

Pour quelle raison obscure ai-je été tentée de recommencer ? (Je n'ai aucune parole, c'est affreux).
Je crois que je suis d'une curiosité terrible.

A l'origine, je pensais faire une critique facile, drôle si possible, pour mettre en lumière les tics, les insuffisances, les métaphores privées d'imagination... Vous êtes un auteur populaire, un de ceux dont on entend couramment dire qu'ils écrivent de la daubasse. Pardon de mon honnêteté, cher Guillaume.
Mais la facilité, justement, ne m'amuse pas, et je suis trop intriguée par votre succès pour me lancer dans une critique simple de ce roman en particulier.

Dans La fille de papier, votre dernier roman paru, un romancier à succès (sic) sombre dans les affres du chagrin d'amour qui l'empêche de parvenir à écrire le troisième volet de sa trilogie.
Madoff passant par là, le voici ruiné, son passé de gosse de banlieue resurgit et sur ces entrefaites, un personnage de son livre débarque sur sa terrasse à 3h du mat alors qu'il est essayait de se Marilyn Monroeiser.

Alors bien sûr, je vous entends clairement, cher Guillaume, le surnaturel dans vos livres sert d'autres sujets, plus profonds, tels que le deuil, les regrets, la vieillesse...
Mais bon, franchement, soyons honnêtes, vous effleurez ces sujets comme on souffle un pissenlit. ça finit en fleurs poilues qui s'éparpillent dans les airs, ça part un peu dans tous les sens, on ne contrôle rien, et à l'arrivée il ne reste qu'un pauvre tige dégarnie.

J'ai lu votre livre, cher Guillaume, vite, facilement, sans honte et sans fards.
Je l'ai lu jusqu'à le finir.
Je n'ai pas vraiment aimé, je n'y ai pas trouvé ce qui me régale dans les livres : des personnages attachants et généreux, ou des dialogues truculents, ou une construction qui scotch, ou un rebondissement qui nous renverse, un style qui nous émerveille, un univers... Non. Tout est lisse.
Les personnages s'agitent, disent ressentir des choses, on les croit sur parole, mais sans empathie.
Les péripéties se succèdent sans finesse de construction, et si on est jamais vraiment surpris, on manque souvent d'être paumés au fil des d'événements qui se suivent sans façons comme une fashonista débutante empile des couches de fringues pour se donner de l'épaisseur.
Tout cela est vite lu, vite oublié.

Vous dites "Il n’y a rien de pire qu’un livre où l’on s’ennuie. En choisissant notre livre parmi beaucoup d’autres, le lecteur nous accorde sa confiance et le moins que l’on puisse faire est de ne pas le décevoir."

Je ne peux que vous donner raison, cher Guillaume.
Il est vrai que les livres ennuyeux sont de véritables plaies. Pour peu qu'ils nous soient imposés par un rectorat sadique, ça tourne à la torture.
Mais la lecture d'un livre bien écrit, bien construit et aux personnages un peu denses ne peut pas être ennuyeuse.
De là à proposer un livre bâclé, il y a un véritable gap.
Et vous vous accordez trop de facilités (à mon goût, toujours, je précise une fois, mais vous y êtes, là, c'est de mon blog dont il s'agit, hein...)
Je me suis même surprise à lire une une authentique longueur de cinéma écrite dans un roman.
L'aspect ? Une succession de faits, de lieux visités, de constats sentimentaux sans émotions, sans phrases construites.
Étonnant. Chiant aussi. Mais pas trop long, alors ça va.
C'est à dire que c'est démobilisant de lire des choses ennuyeuses, et franchement, en vous lisant, cher Guillaume, je me suis dit que vous "pissiez de la copie" comme on dit en presse quand on sort des feuillets de textes sans trop y réfléchir, juste parce qu'il faut remplir les blancs, énumérer des faits.

Mais ça marche.
Vous vendez une quantité colossale de livres.
Vous séduisez tous les âges de lecteurs.
Et vous faites lire des gens qui ne lisent pas.
C'est bien, ça.

Alors quoi ?
Je suis jalouse ?
Oui et non.

Oui, je suis un peu jalouse, parce que vous rassemblez des tas de lecteurs, et que quand on écrit, on a envie de rassembler, on a envie d'être compris. On a envie d'être aimé.
(Je dis "on", mais vous aurez compris que c'est "je", je n'insiste pas)

Non, je ne suis pas jalouse, parce que vous rassemblez, et que quand on écrit, on n'a pas envie de rassembler tout le monde.
Moi j'aime bien écrire des trucs qui déplaisent à certaines personnes, qui les surprennent, qui les dérangent, qui les interpellent.


Cher Guillaume, vous faites précéder vos chapitres de citations d'auteurs dont je me plais à penser que vous les avez lus (Sagan, Bobin, Palahniuk, Balzac, Nietzsche, King...). Il y a de tout et c'est tant mieux, je ne suis pas sectaire, bien au contraire.
Ce sont de grands, de bons auteurs. Certains sont plus populaires que d'autres, certains vendent beaucoup, d'autres moins. Et j'en arrive à la question qui me tarabuste à votre sujet : pourquoi ne travaillez-vous pas un peu plus les structures de vos romans ? Et les rebondissements ? Et les personnages ? Et les images, les phrases, les...
Pourquoi pas ? Vous n'allez pas faire fuir vos lecteurs, ils vous sont acquis, c'est un fait établi.

Franchement, cher Guillaume, lire dès les premières pages du roman une phrase du genre "la plage se prélassait au soleil" et "les maisons serrées comme des sardines" alors que vous parlez des maisons d'un front de mer à Malibu, non ! Non ! Zut !
C'est pas drôle. Je veux bien faire le geste de vous lire, mais faites-en un aussi. Arrêtez les clichés et les phrases à l'emporte-pièce. Quant à vos personnages de papier, ils méritent d'exister un peu mieux que ce que vous nous proposez. Et les dialogues ? Un échange d'informations. Pas de bon mots, pas d'humour, encore moins de rythme.
C'est dommage. Voilà, c'est dommage.
Moi, je trouve qu'un auteur qui est lu par autant de personnes devrait prendre quelques risques et écrire des trucs un peu plus chiadés.

Cher Guillaume, j'espère que vous aurez un jour envie de vous dépasser et d'offrir à vos lecteurs la qualité des livres que vous avez aimés et qui vous ont donné envie d'écrire. Parce que vous avez un truc, c'est évident. Alors essayez.
Merci d'avance.





11 commentaires:

  1. Très beau (bon) texte qui aurait également toute sa place sur le site Bibliobs du Nouvel Observateur où l'on peut faire sa déclaration- lettre-ouverte à n'importe quel auteur...

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  2. tu as bien plus de courage que moi qui n'aie même jamais songé à dépasser la lecture d'une quatrième de couv' d'un roman de Musso, ce qui au demeurant, m'a replongée dans le même état que lorsque j'essayais de comprendre ce que racontait le curé pendant le sermon de la messe du dimanche à laquelle j'étais obligée de me rendre, obligation qui m'aurait presque convaincue qu'aller me faire arracher une dent sans anesthésie serait une agéable occupation dominicale de remplacement.

    Bref, même le résumé de 4ème de couv' m'assomme. Chiantissime.

    Alors je dis doublement chapeau pour avoir tenté (et accompli) l'exploit par deux fois et d'avoir en plus assorti l'épreuve d'une excellente chronique.

    Je me permets de rajouter un PS: cher Guillaume, pourriez-vous demander à votre maison d'édition de cesser la publicité à la radio et ailleurs ainsi que de briefer les chefs de rayons des supermarchés et librairies qui n'ont plus d'agitateur que le nom pour cesser de fourguer des tonnes de vos ouvrages en tête de gondoles?
    Vos bouquins se vendront même si on les planque sous des jaquettes neutres au troisième sous-sol de la réserve. Soyez chic, laissez un peu de place aux autres. Et dans "les autres", je n'inclue pas votre confrère Marc. Merci d'avance.

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  3. LVE : merci beaucoup ! Et quelle bonne idée, je vais de ce clic y faire un tour.

    La trollette : Merci ! Point de courage, mais bien de la curiosité. Quant à la messe, je n'aurais pas pensé à la comparaison, là tout de suite, je m'interroge : lequel, en effet, est le plus attendu des deux...
    Disons qu'à la messe, au moins, on chante (j'aime beaucoup chanter).
    Quant à ton PS, j'abonde : Guillaume, laissez de la place aux autres !

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  4. LVE : le lien ne marche pas sur le site du Nouvel obs. Zut et zut, ma curiosité est au taquet !

    Et moi qui pensais faire une rubrique de ce principe de lettre... En même temps, rien ne m'en empêche, ce n'est pas comme si c'était un concept révolutionnaire ;o)

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  5. < May : ah oui, le site a l'air en carambouille... Il devrait renaître de ses cendres après réparation, je pense...

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  6. Je me suis régalée à lire cette critique ma foi très nourrie. Je vois bien ce que tu veux dire. Les deux phrases citées sont VRAIMENT dans le roman ?.... OUille. Enfin. Je suis d'accord avec toi, il pourrait faire attention aux facilités. Avoir autant de lecteurs ne dispense pas de se donner un peu de mal pour éviter les clichés horribles pas beau beurk.

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  7. Lettre tres inspirée et inspirante. J'aime particulièrement ce que tu recherches dans un livre...

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  8. Franchement, bravo. C'est ce que j'appelle une critique constructive, assez négative certes, mais au moins constructive. Sans agressivité, qui peut permettre à celui qui la lit de progresser.
    Si les gens qui critiquent pouvait donner cette forme là, ça serait un plaisir d'en avoir.

    Concernant la critique en elle même... C'est triste à dire, mais malheureusement, je trouve que les français se jettent sur la facilité. J'ai lu quelques uns des livres de Musso, justement parce que ça se lit vite, que ça se trouve partout et que ça me tient compagnie pendant mes 8h de train hebdomadaires (quoi qu'il m'en faille au moins deux pour tenir le coup)

    Et je pense que c'est malheureusement pour ça que ces livres ont un tel succès. Musso a trouvé un thème qui plait aux gens et qui rapporte, alors il pond toute une liste de romans qui reprennent ce thème. Et c'est dommage, mais ça plait, parce que c'est extrèmement simple, qu'on se plonge dedans très facilement, qu'on en ressort tout aussi facilement d'ailleurs, en gros on ne s'implique pas.

    Et c'est peut être ça le vrai problème de la société de nos jours : s'impliquer, que ce soit dans un livre ou dans la vie, au risque d'être déçu, certes, mais au moins tenter pour le cas où la surprise serait bonne.

    Bref, je suis heureuse d'être tombée sur ton blog, et je reviendrai.

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  9. Gaëlle Nohant : oui, bien sûr, ces images sont vraiment dans le livre. Cela semble presque incroyable...

    Miss Zen : merci, oui, je recherche des choses dingues dans les livres, comme de l'inspiration, je dois être un peu timbrée ;o))

    Chewie : Bienvenue et merci !
    Je repense à "L'élégance du hérisson", par exemple, était un livre accessible, qui a beaucoup plu, pour autant, il n'était pas "facile" à certains égards, notamment celui du vocabulaire...
    Cela dit, en l'occurrence, le pacte de lecture est claire : livre non impliquant pour les lecteurs, composé par un auteur non impliqué dans son oeuvre.

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  10. J'ai lu un Musso (Et après, je crois, je ne suis plus sûre)et il faudrait me payer très cher pour que j'ouvre un autre de ses livres. Tu es plus courageuse que moi (ou plus optimiste).

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  11. Auguri : plus maso, définitivement. Et très optimiste, contrairement à légende qui me dépeint comme une pessimiste chronique...

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