Certains ont des chiens stupides, moi j'ai un collègue pénible.
En apparence, il ressemble à un garçon de son époque, jeune homme bien mis de 29 ans, la mèche alerte et à la mode, très surveillée surtout. Souvent accompagnée d'une main droite qui tel le garde-chiourme, est toujours prète à la remettre en place d'un mouvement habile et presque aussi célèbre que ladite mèche.
En apparence, ce garçon a tout du parisien gentiment moderne, übersexuel comme dirait un magazine que j'affectionne.
En apparence, c'est un être gentil et attentionné. La plupart des personnes de son entourage se sont laissées aller à le trouver délicat, séduisant... drôle ? Non, quand même.
Les apparences sont parfois trompeuses. Mais il arrive aussi qu'elles fassent long feu. Le pire ennemi de ce jeune garçon est son ego, son moi démesuré, son sens du Je exacerbé et tout puissant. Sa force de conviction quand il s'affirme.
Sans son ego, il aurait tout pour être sympatique. On lui pardonnerait même sa préoccupation constante de son pouvoir de séduction et son besoin de le tester sur toute la gente féminine.
Mais cet ego ! Ma doué !
C'est bien simple, plus il se gonfle d'orgueil, plus il se fait moquer. En bon petit coq, il prend alors la mouche et envoie des mails. De longs mails argumentés, qui ne manquent jamais de mouiller l'un ou l'autre en pointant du clavier tel défaut que nous aurions éventuellement omis de trouver risible. Hélas, sa tactique de défense est l'attaque pitoyable, de ses propres collègues. Il n'a toujours pas compris que nos défauts nous font rire. Vous pensez peut-être "Z'êtes pas débordés là-bas ! ça ricanne, ça écrit des mails longs comme le bras pendant les zheures de travail". Ce n'est pas faux. On rit bien. C'est important de bien rire, et nous n'en travaillons que mieux une fois bien détendus, mh ?
Pour revenir au sujet, je n'ai jamais vu une personne affublée d'autant de surnoms. C'est bien simple, ça vient tout seul. D'abord il est blond, donc évidemment, c'est facile, "l'esprit bonde" se décline très bien au masculin, qui l'eût cru ?
Ensuite, il est perpétuellement débordé, toujours en train de courir pour aller chercher un doc à droite à gauche, toujours très affairé, il n'arrète pas. De brasser de l'air. Tous les gens qui l'ont cotoyé de près sont impressionnés par sa faculté à donner l'impression qu'il travaille d'arrache-pied, alors qu'il passe environ 50% de son temps à faire des listes de ses tâches à venir. 25% à faire des mails vengeurs ou explicatifs. Car le jeune homme doit avoir le dernier mot. C'est pénible ? C'est pénible. Que ce soit à l'écrit ou à l'oral, il y a toujours du répondant. ça ne se termine pas, vous le branchez en lui envoyant un mail un peu sec, et c'est parti. Je ne connais qu'une personne qui parvient à le faire taire à coup d'humour saignant, c'est brillant, j'adore.
Pour vous donner un exemple, je vois bien que je reste dans les généralités, ce garçon est capable d'envoyer un mail à la moitié de la boîte pour dire à une personne qu'une autre le trouve vraiment sympatique. En tant que destinataire dudit mail, je me suis retenue de souligner que cette personne est dans l'entreprise depuis au moins un mois et demi, et a donc certainement eu le temps de se faire une haute opinion de cet être magnifique alors que nous ne sommes que de vils railleurs incapables de reconnaître sa valeur. Peut-être sommes nous tout simplement jaloux.
Je me suis retenue, mais je n'ai aucun mérite, je suis son manager.
Oui, je souffre. Car je suis femme. Il est homme. Tellement plus fort, homme, costaud, musculo, cerveau.
Si au terme de mois de prise de recul, de respiration sophrologique et de points avec ma hiérarchie je viens à lui faire une remarque un peu pète-sec (les femmes le sont, non ?), je me vois gratifiée d'un "Ne me parle pas comme ça, je ne suis pas ta fille !".
J'aimerais pouvoir lui dire que mes relations avec ma fille de 4 ans sont beaucoup plus simples, claires et saines que les relations avec lui. Parce que quand on discute, on s'écoute toutes les deux.
Il est constamment sur la défensive. Je vous jure, Marie-Thérèse, j'ai tout essayé. Je pratique le blond égotique depuis bientôt deux ans, au quotidien. Sans rire, j'ai vraiment eu des semaines difficiles de remise en question. Jusqu'à épuisement, au terme duquel j'ai décidé que le jour où il serait capable de se remettre en question, je me poserai peut-être de nouveau des questions sur moi.
Depuis ça va beaucoup mieux.
Il s'énerve toujours un peu, mais tout seul. Je ne suis plus pète-sec, je suis presque zen (faut pas charrier).
Je suis sûre que les collègues pénibles sont partout, mais lui, je vous jure, il est énorme.